I want there to be things in my work that people can access, but also hidden secrets.
—Jim Shaw

Themes

Depuis cinq décennies, l’artiste Jim Shaw développe une pratique artistique complexe et grisante comprenant photographies, dessins, peintures, sculptures, installations, films et performances musicales. La multitude d’oeuvres produites par l’artiste est non seulement vertigineuse, mais également exaltante, tant elle affirme le pouvoir de la culture comme une force créative à part entière, régénératrice et toujours évolutive.

Élevé au rang d’artiste culte, tout en opérant du point de vue d’un homme blanc issu de classe moyenne – middle class Wasp – Jim Shaw est sans conteste l’une des figures majeures de la scène artistique californienne et fait partie des artistes nord-américains les plus influents de notre époque. Comme nul autre, il donne corps à une oeuvre résolument cathartique qui prolifère sur les frontières entre le fictif et le réel, l’individuel et le sociétal. Constamment animé par le doute et la croyance (faith), Jim Shaw a développé un rapport critique et spéculatif à l’égard de la société des États-Unis d’Amérique dont il est le fruit et au sein de laquelle il développe sa pratique. Les mythologies qui la forgent, tels que les religions, la musique, les croyances populaires, l’industrie du divertissement, la publicité ou encore les théories conspirationnistes lui servent parfois d’inspiration, d’autres fois de sujet et certaines fois de matière première. Il floute ainsi les limites de la création, mais aussi de la responsabilité intime et collective à l’origine du flux narratif qu’est la culture, cette entreprise humaine complexe qui normalise et donne du sens à nos existences.

Depuis le début des années septante, Jim Shaw n’a cessé de rêver, organiser, distordre et distiller sa pensée. L’artiste au savoir encyclopédique est à la fois acteur et fervent consommateur des cultures et contre-cultures qui marquent le contexte à partir duquel il évolue : bandes dessinées, magazines de monstres, cinéma hollywoodien, histoire de l’art, musique punk, posters psychédéliques, caricatures et arts amateurs. 


Jim Shaw - Painting

Omniprésente dans le parcours de Jim Shaw, la peinture semble néanmoins avoir trouvé une pertinence particulière dans son travail depuis quinze ans, coïncidant à une période où la culture de l’image prenait un tournant suite à l’arrivée des réseaux sociaux. On peut dès lors se demander pourquoi le bon vieux médium de la peinture serait le plus fiable et le plus efficace pour répondre à un désir de communication et d’expression de sa vision du monde actuel ? Peut-être faut-il y voir la capacité de Jim Shaw à faire de la peinture quelque chose de bien plus complexe qu’il n’y paraît, qui dépasse notre rapport à l’image et à la représentation, quelque chose de résolument vif et séduisant, à la fois de son temps et daté, inspirant la confiance tout en déjouant la vérité.
 


Jim Shaw - Study Drawings

Bien qu’au cours les années 1970, lorsque Jim Shaw étudiait au California Institute of the Arts (CIA), l’accent fût principalement mis sur l’art non figuratif et conceptuel, dans sa pratique artistique, le dessin occupe néanmoins une place prépondérante. En véritable homme de métier, il maîtrise le dessin à partir d’observation ou de matériel photographique. Pour la série Dream Drawings en revanche, Shaw dessine ce qui traverse son imaginaire de manière rapide et directe sur le papier. Au cœur de l’exposition, il nous présente une sélection de plus de cent dessins d’atelier qu’il a réalisés au cours de la dernière décennie. Mêlant études préliminaires détaillées pour des tableaux et idées croquées sur le vif, ce panorama offre un aperçu intime du processus créatif et conceptuel de Shaw et esquisse pour ainsi dire son paysage mental des dix dernières années. Avec un mélange d’images reconnaissables et absurdes, il sonde la culture et la politique des États-Unis et nous révèle plus que jamais la friction croissante entre les cadres de pensée conservateurs et progressistes.

 


Jim Shaw - The Electronic Monster and Thirteen Ghosts

The Electronic Monster and Thirteen Ghosts (2024) est une nouvelle oeuvre créée pour l’exposition. Elle s’inspire du souvenir de deux films de monstres que Jim Shaw a vus au cinéma lorsqu’il avait neuf ans. L’installation convoque des perruques chantantes, un aspirateur agressif, des mannequins de catalogue, des hommes des cavernes, une figure mi-cake mi-intestins, et les fantômes de la puissance industrielle et du consumérisme à une ultime danse, grotesque et déphasée. L’oeuvre fait remonter à la surface les débris et les éléments constituants de la société américaine, telle une idéologie à la dérive, flottante et pourtant bien présente. L’esthétique vintage qui – ici et ailleurs – marque le travail de Jim Shaw inscrit les années soixante comme celles qui ont forgé son regard de jeune artiste, et s’affirme comme un moyen incisif dont il use pour dépeindre et fragiliser « l’âge d’or mythifié du patriarcat dans l’Amérique d’après-guerre, où les hommes blancs dirigeaient tout ». Le spectacle qui se déroule sous nos yeux nous renvoie à un point de vue d’Européens avides et critiques d’une Amérique stéréotypée, au-delà d’une réalité échappant à nos simples repères.


Jim Shaw - The Wig Museum

Plus loin, The Wig Museum (2017) est né d’un rêve que Jim Shaw fait en 1999 : flânant dans les rues de Tijuana à la recherche d’un hot-dog, il se retrouve face à l’entrée d’un musée de perruques où un homme l’accoste et se présente comme le curateur de l’institution. Ce n’est que bien plus tard, en 2017, qu’il matérialise son rêve et crée The Wig Museum, un paysage théâtral que l’on peut traverser et que l’artiste qualifie de porte d’entrée vers un centre commercial de l’enfer – shopping mall in hell. Avec cette installation, Shaw fait culminer son attrait pour la chevelure factice ou naturelle. La chevelure, cette masse sculpturale encline à exprimer les ambitions les plus folles des puissants de ce monde, comme on peut l’observer, notamment, en regardant la coiffe d’un aristocrate français du XVIIIe siècle ou encore les coiffures de la horde de leaders populistes contemporains.


Jim Shaw - Thrift Store Paintings

Peintures diverses

Dimensions variables (environ 400-500 œuvres)

Collection privé Bruxelles 

Avec le soin et le dévouement d’un véritable collectionneur, Jim Shaw rassemble depuis plus d’un demi-siècle des tableaux d’artistes amateurs qu’il achète – entre 5 et 35 dollars par toile – dans des magasins d’articles d’occasion, des marchés aux puces ou lors de ventes aux enchères en ligne. C’est ainsi qu’il enrichit sa collection à la fois diverse et étonnamment cohérente, dans laquelle se mêlent des scènes banales et absurdes. Les Thrift Store Paintings témoignent de son intérêt pour la culture populaire états-unienne et de son approche indifférenciée de la production culturelle professionnelle et non professionnelle. En tant que réponses extrêmement personnelles et idiosyncrasiques à la vie au sein des systèmes en place et du climat politique, cette collection représente une vision du monde occulte, qui dévie de la culture et des médias dominants. La collection suggère l’existence d’un subconscient social, politique et culturel collectif au sein des États-Unis d’Amérique.

« Tout le monde projette toujours sa propre psyché sur n’importe quelle œuvre d’art. En parcourant les magasins d’articles d’occasion ou les marchés aux puces, on peut dans un certain sens psychanalyser la culture. Je cherche des choses qui concernent les pulsions subconscientes des Américains ou des gens en général. » – Jim Shaw